Recommendations de la Haute Autorité de Santé
Une prise en charge médicamenteuse est la réponse la plus fréquente face aux symptômes psychiatriques et comportementaux dans les démences (SPCD). Les neuroleptiques sont fréquemment utilisés pour des SPCD de nature positive, c’est-à-dire les symptômes caractérisés par un excès (hallucination, délire, agitation, agressivité…). Cependant, la Haute Autorité de Santé (HAS) (2012) rapporte que l’utilisation de neuroleptiques entraîne des effets secondaires majeurs (troubles de la marche, accidents vasculaires cérébraux, décès) et n’a pas démontré une grande efficacité (seulement 10 à 20% des patients ont vu une diminution de leurs troubles sur 12 semaines).
Les effets secondaires sont liés au fait que les personnes âgées présentent souvent une poly-comorbidité somatique et neuropsychiatrique, générant ainsi des interactions négatives et imprévisibles entre les médicaments. La HAS conclut que « les neuroleptiques constituent une mauvaise réponse à une situation clinique de gestion difficile mais pour laquelle existent des alternatives ». Cet organisme a donc lancé le programme « Alerte Maîtrise Iatrogénie » (AMI) auprès des professionnels pour limiter la prescription de neuroleptiques dans un contexte de démence.
Concernant la dépression, les antidépresseurs semblent montrer une certaine efficacité, ils ne sont cependant pas dénués d’effets secondaires, notamment les antidépresseurs tricycliques. La littérature privilégie le recours aux antidépresseurs de type « inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine » (ISRS) en raison de leurs effets secondaires plus faibles et de leur action à large spectre (agissant sur d’autres troubles : labilité émotionnelle, anxiété, agitation…) (Robert et al., 2009). Cependant les études actuelles présentent des biais méthodologiques importants (moyenne d’âge de la population inférieure à 70 ans, critères d’inclusions très variables…) (Bélicard-Pernot, Manckoundia, Ponavoy, Rouaud, & Pfitzenmeyer, 2009).
Pour ces différentes raisons, la HAS (2009) et la littérature scientifique actuelle (Vellas et al., 2005) préconisent que toute prescription de psychotropes soit précédée d’une démarche d’analyse clinique des SPCD, suivie par une intervention sur les facteurs personnels, environnementaux et relationnels. Ces recommandations sont congruentes avec la préférence des personnes âgées pour une prise en charge non médicamenteuse (Gum et al., 2006). La prise en charge doit donc être globale, pluridisciplinaire et coordonnée avec comme objectifs une diminution des SPCD et de la souffrance ainsi que l’amélioration de la qualité de vie des patients et de leurs aidants (famille ou équipe soignante).
Les prises en charge non médicamenteuses sont donc préconisées, cependant encore peu d’études avec une méthodologie sérieuse ont été effectuées sur le sujet (HAS, 2009). Dans cet article, nous nous intéresserons aux prises en charges non médicamenteuses de la dépression et de l’apathie dans la maladie d’Alzheimer.
Prise en charge de la dépression
Une prise en charge de nature psychothérapeutique peut être utile à un stade léger de démence. Ses objectifs dépendent de la problématique et des capacités du patient : acceptation de la maladie et de ses conséquences, acceptation de l’entrée en institution… Ces psychothérapies se basent sur l’empathie, la bienveillance et l’expression des émotions. A un stade plus avancé de démences, les troubles du langage et de la mémoire rendent difficiles la communication verbale et l’élaboration psychique. L’objectif de la psychothérapie s’oriente alors sur le soutien et le maintien d’une communication valorisante pour le patient (Robert et al., 2009 ; Touverey, Hanon, & Pellerin, 2009).
Le recours à des thérapies médiatisées (musicothérapie, zoothérapie, jardinage, activités physiques…) est utile dans les stades plus avancées de démences ou pour les patients qui préfèrent cette modalité thérapeutique. Elles se basent sur les compétences préservées du sujet et visent différents objectifs : favoriser la communication et le lien social, induire des expériences de plaisir, lutter contre l’ennui, et également renforcer les sentiments de contrôle, d’utilité et d’estime personnelle. Les thérapies de type réminiscence visent à favoriser l’émergence des souvenirs pour consolider le sentiment d’identité et leur partage social (Pancrazi et Métais, 2005 ; Wenisch et al., 2005 ; Narme et al., 2012).
D’autres modalités thérapeutiques sont centrées sur l’amélioration de l’environnement pour qu’il devienne plus serein, sécurisant, stimulant, adapté aux rythmes du patient, et qu’il facilite le lien social (Robert et al., 2009).
Enfin, d’autres thérapies proposent de modifier le fonctionnement institutionnel pour permettre non seulement une prévention des troubles, mais également leur traitement durable dans le temps. Cela peut s’effectuer par une formation et une sensibilisation des soignants sur différents thèmes (une meilleure connaissance des démences et des SPCD, favoriser la communication…) (Leone, 2012). Enfin, une thérapie basée sur l’activation comportementale (Meeks, Looney, Van Haitsma, & Teri, 2008) propose de mettre en place de manière systématique et à un niveau institutionnel des activités plaisantes fréquentes, régulières, contrôlables et personnalisées afin d’augmenter les affects de plaisir et lutter contre la dépression.
Intérêt pour la musicothérapie
La Fédération Mondiale de Musicothérapie (WFMT) définit les thérapies musicales comme l’utilisation de musique ou d’éléments musicaux (son, rythme, mélodie…) avec un patient ou un groupe de patients dans le but de faciliter la communication, l’établissement de liens sociaux, l’apprentissage, la mobilisation corporelle, l’expression, l’organisation ainsi que d’autres objectifs thérapeutiques visant à satisfaire les besoins physiques, émotionnels, mentaux, sociaux et cognitifs (WFMT, 2010).
Une thérapie basée sur la musique peut être réalisée de manière individuelle ou groupale, sur une modalité plutôt réceptive (écoute de la musique), active (utilisations d’instruments, de la voix…) ou bien les deux (Raglio & Gianelli, 2009).
La thérapie musicale doit être adaptée à la problématique du patient et visent deux objectifs majeurs :
- La relaxation : les musiques calmes et apaisantes induisent une relaxation et un sentiment de bien-être permettant d’alléger la douleur, l’anxiété, la souffrance et de diminuer les troubles comportementaux comme l’agitation ou l’agressivité.
- La stimulation : cette stimulation peut être affective (par l’induction d’émotions positives), cognitive (par la facilitation du rappel de souvenirs autobiographiques associés à une musique familière) ou comportementale (via une incitation à l’action : danser…)
La musique pour les personnes souffrant de démence
La musique est un médiateur particulièrement bien adapté pour des personnes souffrant de démence car elle repose sur des compétences cognitives préservées, même à des niveaux de démence modérée voire sévère. La mémoire implicite musicale semble rester fonctionnelle aussi bien à un niveau antérograde (rappel de souvenirs anciens) qu’à un niveau rétrograde (rappel de souvenirs récents), elle permet ainsi de générer de nouveaux apprentissages (Prickett & Moore, 1991 ; Crystal, Grober, & Masur, 1989 ; Moussard, Bigand, Clément, & Samson, 2008 ; Simmons-Stern, Budson, & Ally, 2010). Des études montrent également que le jugement émotionnel d’extraits musicaux est préservé alors que les personnes échouent lorsqu’il s’agit de déterminer une émotion à partir de visages (Drapeau, Gosselin, Gagnon, Peretz, & Lorrain, 2009). Enfin, la musique est particulièrement adaptée pour les personnes qui ont des difficultés à s’exprimer (Narme et al., 2012).
Effets thérapeutiques
Une récente étude (Narme et al., 2012) a montré que des séances de musicothérapie ont permis une amélioration de l’état émotionnel (anxiété et tristesse) à court terme, et que les bénéfices persistaient jusqu’à 4 semaines après l’arrêt des séances en comparaison avec deux autres ateliers (cuisine et peinture). D’autres études suggèrent que la musicothérapie a un effet bénéfique sur l’apathie, sur les capacités langagières, sur le rappel de souvenirs autobiographiques et sur les SPCD « positifs » (notamment l’agitation, l’agressivité et le délire) (Thompson, Moulin., Hayre, & Jones, 2005 ; Irish et al., 2006 ; Raglio et al., 2010).
Ces récentes études présentent des méthodologies plus rigoureuses que les plus anciennes, même si la taille de l’échantillon reste souvent faible. Une revue de la littérature (Vink, Birks, Bruinsma, & Scholten, 2009) montre en effet que seulement 1 % des études publiées entre 1966 et 2006 répondent à des critères méthodologiques rigoureux dans le domaine des activités musicales chez les sujets déments.
Mécanismes d’actions
Plusieurs études ont montré que l’écoute musicale active différentes parties du cerveau impliquées dans des processus cognitifs, sensorimoteurs et émotionnels (Koelsch, 2009). Plusieurs auteurs suggèrent que la musique réduit le stress et l’anxiété grâce à son action sur certaines hormones, comme le cortisol (Khalfa, Bella, Roy, Peretz, & Lupien, 2003). D’autres auteurs ont mis en relief l’expérience de plaisir provoquée par la musique et l’activation du système cérébral liée à la récompense. Les études montrent en effet que l’écoute musicale active le système mésolimbique et augmente l’activité dopaminergique (Salimpoor, Benovoy; Larcher, Dagher, & Zatorre, 2011).
L’activité musicale permettrait aussi une resocialisation par l’expression et le partage d’émotions ou de souvenirs favorisés par la musique et par le biais d’une communication davantage non verbale, plus facile pour les personnes souffrant d’aphasie (Raglio et Gianelli, 2009).
En conclusion, l’écoute musicale peut diminuer la dépression par l’induction d’émotions positives, la réduction du stress et une resocialisation. Elle aurait également des effets bénéfiques sur l’apathie en raison de son action stimulante (Guetin et al., 2013).
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Bibliographie
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Haute Autorité de Santé. (2012). Le programme AMI (Alerte Maîtrise Iatrogénie) Alzheimer.
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