Plusieurs théories cherchent à attribuer une fonction à l’anxiété sociale, la peur et la gêne que l’on peut ressentir en présence d’autres personnes. Selon eux, cette anxiété constituerait un avantage adaptatif pour l’individu et ne serait donc pas causé par des processus dysfonctionnels. La plupart de ces modèles sont issues de la psychologie évolutionniste, perspective récente qui s’appuie sur la théorie de l’évolution proposée par Darwin pour expliquer certains comportements humains actuels. Ces auteurs expliquent que si l’anxiété est perçue comme une gêne plutôt que comme un atout c’est par ce que les exigences de notre environnement actuel ne sont plus les mêmes que celles présentes au temps de nos ancêtres.
Modèle de l’auto-handicap
Ce modèle est le seul à ne pas s’inscrire dans une perspective évolutionniste. Les auteurs suggèrent que la fonction de l’anxiété sociale est de fournir une excuse toute prête pour soi et les autres. Ce mécanisme est utilisé lorsqu’une personne est confrontée à un important risque d’échec lors d’une situation sociale qu’elle ne peut éviter. Les faibles performances seraient alors attribuées à une perte de moyen plutôt qu’à de faibles compétences. Les auteurs ajoutent que ce mécanisme serait utilisé seulement par les personnes qui percevraient une menace importante pour leur estime personnelle. Par exemple quand cela touche à des domaines importants tels que l’intelligence, les compétences ou l’attirance.
Modèle du signal de soumission
Ce modèle évolutionniste attribue également à l’anxiété sociale une fonction de communication. Son auteur (Ohman, 1986) explique que l’anxiété servirait de signal de soumission permettant d’augmenter ses chances de survie en évitant les conflits ou agressions physiques avec un individu dominant potentiellement hostile.
Modèle d’exclusion sociale
Le modèle de l’Exclusion Sociale s’appuie sur le principe que les êtres humains ont évolué vers une forte préférence pour la vie en groupe en raison des nombreux avantages en termes de survie que cela confère. Par conséquent, tout évènement qui risque de séparer un individu de son groupe représente un risque majeur pour lui. Il est normal de penser qu’un système d’alerte et d’anticipation du risque de séparation ait été façonné par la sélection naturelle. Des actes inappropriés de la part d’un individu peuvent mener à son exclusion du groupe social. Or l’anxiété sociale représente un système d’alerte efficace contre cela puisqu’elle indique à l’individu que la situation est importante tout en inhibant les comportements potentiellement inappropriés de sa part. Pour être efficace, ce mécanisme doit donc accorder de l’importance à l’évaluation que les autres font de nous et à leurs exigences sociales, mécanismes que l’on retrouve dans l’anxiété sociale.
La fonction attribuée à l’anxiété est donc d’éviter que l’individu se retrouve seul, or une anxiété sociale intense amène parfois des individus à un retrait social important. C’est uniquement dans ces moments-là que l’anxiété est considérée comme inadaptée par le modèle, car elle ne répond plus à sa fonction première.
Le modèle du coût lié au rejet
Susana Lucia Kugeares (2002) propose de nouvelles hypothèses pour combler les lacunes des modèles évolutionnistes. Elle soutient que les autres modèles cherchent à expliquer l’anxiété sociale avec une seule fonction pour tous les contextes sociaux. Selon elle, cette anxiété remplit des fonctions différentes selon les situations, précisément dans un contexte de reproduction.
Les ressources (temps, énergie, nourriture…) étant limitées, tout miser sur un partenaire avec qui le risque de réussite est faible représente un gâchis de ses ressources. Par conséquent, ce modèle postule que l’anxiété hétérosociale servirait d’indicateur du risque d’être rejeté par un partenaire potentiel afin d’éviter d’investir se ressources inutilement. Plus le risque d’échec est important, plus l’anxiété hétérosociale sera grande, permettant ainsi à l’individu d’éviter les situations risquées et de préférer les situations plus sûres.
L’auteur précise que l’évaluation du risque d’échec se base sur un processus heuristique de comparaison entre la valeur reproductive de l’individu et celle du partenaire désiré. Si la valeur reproductive du partenaire potentiel est supérieure à celle de l’individu, alors ce dernier aura peu de chance de créer de l’attraction, générant ainsi de l’anxiété et de l’évitement. La notion de valeur reproductive s’inscrit dans la théorie Darwienne de l’évolution, elle se réfère à l’ensemble des qualités favorisant la reproduction d’un individu. Elle dépend donc des critères de sélection des individus de sexe opposé.
Plusieurs études suggèrent que cette valeur reproductive s’appuie sur des critères différents selon les sexes (Buss & Schmitt, 1993). Les hommes accorderaient plus d’importance au corps de leur partenaire, la valeur reproductive des femmes dépendraient donc principalement de leur attirance physique. A l’inverse les femmes accorderaient plus d’importance au statut social et aux ressources économiques de leur partenaire augmentant l’importance de ces facteurs dans l’évaluation de la valeur reproductive masculine.
En résumé, l’anxiété hétérosociale résulterait d’une interaction propre à chaque relation entre les caractéristiques du partenaire et celles de l’individu.
Vous pouvez approfondir le sujet en découvrant les 2 articles suivants : Comprendre l’anxiété hétérosociale et Les causes de l’anxiété sociale
Bibliographie
Buss, D. M., & Schmitt, D. P. (1993). Sexual strategies theory: An evolutionary perspective on human mating. Psychological Review, 100, 204-232.
Kugeares, S. L. (2002). Social Anxiety in Dating Initiation: An Experimental Investigation of an Evolved Mating-Specific Anxiety Mechanism (thèse de doctorat, Université d’Austin, 2002)
Ohman, A. (1986). Face the beast and fear the face: Animal and social fears as prototypes for evolutionary analyses of emotion. Psychophysiology, 23, 123-145.